Silicon Valley, Terre sainte
Le Bosco Verticale
L’architecte qui enracine les villes
Silicon Valley, Terre sainte
Le Bosco Verticale
L’architecte qui enracine les villes

ÉVA /
SION

À PALERME,
DES GRAFFITIS
CONTRE LA
MAFIA

Texte et photos : Jean Marie Hosatte

La capitale sicilienne résiste à la violence de Cosa Nostra en laissant parler ses murs.

Santa Rosalia par Tvboy. La sainte qui a chassé la peste de Palerme est aussi le symbole de la lutte contre l’organisation criminelle.

Quand Igor Scalisi Palminteri, un colosse de 47 ans, aux bras de lutteur, affirme qu’il n’aurait pas peur de faire les portraits de Toto Riina ou de Bernardo Provenzano, on le croit. 

Une allumette brûlée peinte par Palminteri sur la façade d’un immeuble en mémoire du Père Puglisi tué par la mafia en 1993.

Il faut dire que le temps a passé depuis que les deux parrains les plus sanguinaires de Cosa Nostra ont lancé une sanglante offensive mafieuse sur Palerme : « Chaque jour de ces années-là, explique l’artiste, a été nécessaire pour que la ville reprenne courage et espoir. L’oppression mafieuse durait depuis plus d’un siècle quand les juges Falcone et Borsellino se sont attaqués à Cosa Nostra. Ils en sont morts et, trente ans, c’est juste suffisant pour que nous puissions commencer à imaginer que la mafia sicilienne a, peut-être, été matée. » Le peintre à l’allure de condottiere refuse de représenter des mafieux parce que le Mal ne l’inspire pas. Il précise : « J’ai passé sept ans au monastère, chez les franciscains. Je suis revenu dans le monde mais mon aspiration au sacré, à l’exprimer, est restée intacte. Je ne me suis jamais vraiment posé la question, jusqu’à cet instant, de savoir si je pourrais peindre Riina et ses tueurs. Il n’y a rien de sacré en eux. Ils sont le chaos et le néant. »

STREET ART SACRÉ

Dans le quartier de Ballaro, Palminteri a peint sur des murs menaçant ruine, plusieurs grandes fresques d’inspiration religieuse. « Je fais du street art sacré. De la bondieuserie géante ! » Son Saint-Benoît le More contemple, de 30 mètres de haut, un terrain de foot miséreux. Autour, des pans de murs noircis se dressent, inutiles, vers le ciel incandescent.

La rumeur de milliers de vies entassées dans des HLM mal entretenus fait office de chœur à cette église effondrée avant d’avoir été édifiée. « Benoît le Noir ! J’ai voulu le mettre là parce qu’il incarne la patience, la générosité et la solidité du peuple sicilien dans l’épreuve. Notre humilité aussi. Je l’aime, ce Benoît, mais celle que je préfère c’est notre Rosalia. » Palminteri a posé la sainte, toute vêtue d’azur et d’or, sur le mur d’enceinte d’un hôpital pour enfants malades. Il salue son œuvre en posant sa main de chair sur celle de Rosalie.

« Elle a chassé la peste de Palerme. Exactement comme Falcone, Borsellino et tous ceux qui sont morts dans leur lutte ont chassé la mafia de cette ville.

Depuis six siècles au moins, les artistes qui la peignent n’ont pas éprouvé le besoin de donner un visage, une forme à la maladie. La menace est informe. Je fais la même chose avec la mafia. Elle est présente dans mes œuvres, mais
pas représentée. »

Le street artist Igor Scalisi Palminteri devant sa Sainte Rosalie.

Peint dans le quartier de Ballaro, Saint-Benoît Le More incarne la patience, la générosité et la solidité du peuple sicilien.

Il a survécu. Miraculeusement sauvé par ce « bouleversement des consciences » qu’il s’était efforcé de créer pour briser les crocs de Cosa Nostra. Leoluca Orlando a mis à profit le long sursis dont il a bénéficié pour appuyer tous les projets artistiques qui permettent à Palerme de se reconstituer en tant que communauté apaisée. Aujourd’hui, la capitale sicilienne est considérée comme la ville la plus sûre d’Italie.

COLÈRE PAPALE

Ce miracle-là n’aurait pas été possible si l’Église n’avait pas pris ses distances d’avec Cosa Nostra. Après les assassinats de Falcone et de Borsellino, le clergé est sommé de se ranger sans plus aucune ambiguïté dans le camp antimafia. À Agrigente, en 1993, Jean Paul II la décrit comme « une culture de la mort, profondément inhumaine et antiévangélique ». Le Pape avertit les mafieux: «Un jour, vous devrez affronter le jugement de Dieu! » La réponse de Totò Riina et de ses tueurs ne se fait pas attendre. Deux bombes explosent dans des églises de Rome. Le 15 septembre 1993, le Père Pino Puglisi est abattu à Palerme devant son domicile dans le quartier de Brancaccio, une zone de non-droit totalement soumise au pouvoir d’un clan redoutable.

C’est à l’endroit même où le Père Puglisi est tombé sous les balles des tueurs qu’Igor Scalisi Palminteri a choisi de réaliser trois fresques en hommage au prêtre assassiné. « Le fait que j’ai pu rendre un hommage aussi monumental à une victime de la mafia, sur son territoire, nous fait mesurer l’évolution des mentalités dans cette ville. Il a fallu beaucoup de courage pour y arriver. Je ne parle pas du mien, mais de celui des habitants de Brancaccio qui m’ont laissé faire. Il n’y a pas encore si longtemps, ceux qui m’ont autorisé à peindre sur le mur auraient été condamnés à mort. »

Sur le quai de La Cala, Rosk et Mirko Loste rendent hommage aux juges Falcone et Borsellino, victimes de la mafia.

L’hommage de Palminteri à Don Puglisi est, il le confesse sans honte, «un peu blasphématoire». Au lieu de peindre une croix pour symboliser le martyr du prêtre, l’ancien moine a choisi de représenter une immense allumette brûlée couronnée du sigle INRI. « Rien de plus dérisoire qu’une allumette brûlée, mais rien de plus fragile qu’un prêtre antimafia, isolé à Brancaccio, au début des années 90. Mais le feu qu’il a allumé a brûlé la mafia. J’ai représenté cet embrasement sur une deuxième façade et sur une troisième le portrait de Don Pino éclairé par les flammes. »

SACCAGE URBAIN

À Ballaro, dans la Kalsa ou à la Zisa, d’autres « favelas » palermitaines, l’inspiration des artistes de rue est bien moins religieuse. À l’entrée de Ballaro, un Christ souriant à un migrant attend le visiteur ; Palerme, sous l’impulsion de son maire, accueille aussi généreusement qu’elle le peut tous les réfugiés qui arrivent jusqu’à elle. 

Mais le portrait le plus saisissant et celui de Peppino Impastato. Un jeune homme de Trente, assassiné dans des conditions atroces au printemps 1978. Impastato était un militant d’extrême gauche dont le père était mafieux. Il voulait que les paysans siciliens se révoltent contre la mafia : «Une Église servie par les prêtres du dieu Argent. » Son père a supplié son supérieur dans l’organisation d’épargner son fils. En vain. La « pieuvre » ne pardonne pas les outrages. L’exemple des militants est une source d’inspiration importante pour les peintres de ces quartiers construits à la va-vite pendant ce que l’on a appelé « Le Sac de Palerme ». Entre les années 50 et 60, la spéculation immobilière s’emballe, notamment dans la Conque d’or, une ceinture de vergers qui entoure la ville. Ces terres ont longtemps été les plus rentables de toute l’Europe et des fortunes colossales se sont construites grâce à la production des oranges et des citrons de Sicile. Mais à la fin de la guerre, les promoteurs liés à Cosa Nostra calculent qu’il serait infiniment plus rentable de construire des HLM que de produire des agrumes. 

La fontaine de la Piazza Pretoria et ses figures mythologiques. Un chef-d’œuvre de la Renaissance dans lequel les Palermitains voient depuis six cents ans s’exprimer les travers de l’âme humaine.

La pieuvre mafieuse qui manipule et dévore par Mister Thoms.

N°136

Publié par Jean-Marie Hosatte

error: Le contenu est protégé